PL 94: Pourquoi s’acharner sur les apparences?

Gilles Beauchamp

Le nouveau Projet de loi 94 vise centralement le renforcement de la laïcité dans le réseau de l’éducation. Le projet propose de légiférer pour assurer un plus grand respect de la neutralité religieuse de l’État et de la séparation d’État et des religions.

L’intention du ministre : protéger les élèves de tout endoctrinement ou influence religieuse.

L’actuel projet de loi n’a pas tout faux, mais il repose encore sur des stéréotypes et des préjugés qui accompagnent la visibilité de certaines identités religieuses.

Enfin la bonne cible

Le projet de loi voit juste en visant la « conduite », les « propos, les comportements et les décisions » pour que ceux-ci soient en conformité avec les valeurs démocratiques et avec la laïcité de l’État. S’il y a vraiment un problème d’influence religieuse à l’école, c’est bien aux actions que l’on doit porter attention. En effet, la neutralité religieuse de l’État concerne l’« agir […] de façon à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l’appartenance ou non de cette dernière à une religion, ni en raison de leurs propres convictions ou croyances religieuses ou de celles d’une personne en autorité. » (R-26.2.01, article 4)

Ce que l’on veut, c’est que personne ne soit favorisé ou défavorisé, privilégié ou discriminé, inclus ou exclu, en raison de sa religion. À savoir si l’on avait besoin d’une nouvelle loi pour ça, je laisse la question aux juristes.

Encore les apparences

Le projet de loi prévoit également une interdiction généralisée des signes religieux pour tout le personnel scolaire. En conférence de presse, le ministre se justifie : « Bien, l’école est laïque […] Si tu veux travailler [dans le milieu scolaire], tu dois être neutre dans ta tenue vestimentaire. »

Pour le ministre, c’est évident, une apparence neutre, c’est l’invisibilité de l’identité religieuse. Si un élève peut identifier la religion d’un membre du personnel (très grossièrement, pas besoin d’être capable de déterminer l’affiliation précise), il y aurait manquement à l’apparence de neutralité religieuse.

Paradoxalement, les groupes religieux minorisés sont les seules « minorités visibles » que l’on ne veut pas voir. On repassera pour l’égalité.  

Le PL 94 renforce également – et à juste titre – les protections contre l’intimidation et la violence « motivée notamment par le racisme, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou de genre, l’homophobie, un handicap ou une caractéristique physique ». Ces identités, comme l’identité religieuse, sont aussi parfois visibles. Or, la visibilité des groupes marginalisés (par exemple, des groupes racisés, mais aussi des groupes religieux) n’est pas objective; elle est le résultat de la structure de la société et des préjugés identitaires. On n’est pas une minorité visible dans tous les contextes.

Les références omniprésentes à la religion catholique dans l’espace public ne minent pas l’apparence de neutralité religieuse de l’État pour la majorité parce qu’elle ne les voit tout simplement pas. À quand la dernière fois où la croix du mont Royal vous est apparue comme un symbole religieux catholique?

L’objectif de la neutralité religieuse est adéquat pour éviter l’influence sur les élèves, mais une apparence de neutralité qui passe par l’invisibilité des identités religieuses rate la cible. La visibilité des identités minorisées nuit à l’apparence de la neutralité idéologique de l’État seulement si l’on entretient des préjugés envers ces groupes. De la même manière, être en mesure de déterminer l’identité religieuse d’une personne n’est problématique que si l’on entretient des stéréotypes et des préjugés à l’égard de son groupe.

On ne dispose tout simplement pas de raison objective et fiable de douter davantage de la neutralité religieuse d’une personne ayant une identité religieuse visible que d’une personne dont l’identité (non)religieuse est invisible.

Le PL 94 fait bien de viser les actions parce que c’est ce qui compte pour renforcir la neutralité religieuse et protéger les élèves. L’apparence, elle, est trop fonction des stéréotypes et des préjugés. Travaillons plutôt, comme le fait le cours Culture et citoyenneté québécoise, à « la déconstruction des stéréotypes qui essentialisent les groupes et les identités. » (Compétence 1 Étudier des réalités culturelles)

Publié le 9 avril 2025.

Gilles Beauchamp est chercheur postdoctoral à la Chaire de recherche du Canada sur l'injustice et l'agentivité épistémiques, au Centre de recherche en éthique (CRÉ) et au Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ). Ses recherches portent sur la reconnaissance – et le manque de reconnaissance – de l’agentivité épistémique des personnes religieuses dans la société laïque, c’est-à-dire leur capacité à produire, utiliser et partager de la connaissance. Il utilise donc les outils de l’injustice épistémique et de l’ignorance active pour porter un regard nouveau sur les enjeux liés à la place de la religion dans l’espace public des sociétés laïques pluralistes tel que le Québec. Ses travaux ont été publiés notamment dans Journal of Applied Philosophy, Religious Studies et Religious Education.